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Sur ma colline du Mormont, depuis le chalet de mes grands-parents, un chemin blanc de poussière coupait les champs. Il montait raide sous le cimetière, puis continuait vers la lisière de la forêt où je n’osais m’aventurer, près du sommet.
Par endroits dans les champs, la roche calcaire affleurait et refusait la charrue, endroit colonisé par l’aubépine et de nombreuses vipères.
Dans l’après-midi, les chars de foin puis en fin d’été les chars de blé tirés par les chevaux redescendaient de la colline chargée des parfums des champs. Quelquefois, c’était la voiture noire et fleurie qui précédait tous les hommes silencieux. Elle montait au cimetière sur ma colline aux papillons.
… a disparu
Papillon je ne te vois plus. Ils ont presque tous disparu des champs.
Que reste-t-il sur ma colline du Mormont sans les papillons ? Des champs tristes caressés par le vent.
Déjà les beaux tilleuls centenaires du cimetière ont disparu avec le temps.
Sans les tilleuls, les abeilles de mon grand-père ne sont pas revenues au printemps.
Le cimetière en a perdu son âme. Seul un silence de mort s’y est installé avec le vent.
Et là, juste dans le contour, la fourmilière de mon enfance aussi haute que moi, je ne la vois plus, goudronnée, en même temps que le joli chemin blanc.
Où sont donc les nombreuses vipères qui s’enfuyaient sous mes pas d’enfant affolé? Je ne les trouve plus avec les haies disparues depuis le temps.
Là-haut, la petite source aux pigeons en bordure de la forêt ne coulera plus. En dessus la forêt a disparu ! A la place un grand trou vide, un cratère géant.
Au bas, la cimenterie Holcim mange sa belle pierre jaune à pleines dents.
Pauvre Mormont de mon enfance, transformé en ciment pour bétonner les champs.
Pauvres papillons disparus des champs à nonante-neuf pour cent.
Jean-Daniel Borgeaud
Dans le Mormont, les cimentiers d’Eclépens voient le calcaire. Allez les convaincre que c’est le bien d’un peuple et un lieu sacré !
Question: allons-nous, au XXIe siècle, sacrifier le Mormont lui-même ? Un délai fut accordé aux chercheurs pour des fouilles en toute hâte. Puis le décapage de la roche a repris. Jusqu’où ?
C’est le problème. Les tranches consacrées sont déjà béantes. Il est évident qu’elles sont devenues scandaleuses…
Bertil Galland
